Journée des amaleys

Publié le 16 décembre 2012


C’est devenu une tradition instaurée depuis quelques années, un moment très attendu par toutes les femmes du village : la visite des monastères de la région.
Très tôt le matin, nous nous acheminons à travers champs sur le point de rendez vous près de l’école primaire de Sharnos, là où le bus s’arrête traditionnellement pour prendre en charge les passagers.

Cette fois ci nous attendons notre bus loué spécialement pour la journée des Amaleys.

Quelques femmes sont déjà là, accompagnés de jeunes enfants ensommeillés. Il est autour de 6 heures 30 du matin et le jour n’est pas encore bien installé, à peine les rayons du soleil inondent la tête de Mémé Guégnien, le protecteur de la vallée, le point le plus haut de la chaine de montagne qui borde la vallée de Shara.

Sur la route au loin, on entend les bruits caractéristiques des freins, des suspensions, des reprises du bus Tata qui approche. Les derniers retardataires pressent le pas et arrivent, essoufflés.

Toutes se précipitent dès que la porte s’ouvre dans un chuintement hydraulique. Il faut aussi rentrer dans la mêlée si nous voulons rester ensemble auprès d’amies qui sont déjà installées.
Et que je te pousse. Et que je te tire.. Enfin, nous prenons place sur la banquette convoitée et vacante.
Le bus redémarre. Nous sommes une cinquantaine de personnes.

Une fois par an, libérées des tâches ingrates et éreintantes du traitement de la récolte, l’heure est au plaisir d’être ensemble et de partager un moment fort. Certaines femmes de la vallée ont peu ou pas le loisir de sortir de chez elles. L’occasion qui est donnée de visiter le riche patrimoine culturel et religieux est très appréciée.

Nous sommes secoués dans ce grand véhicule au confort rustique mais très solide, bien adapté aux routes accidentées du Ladakh. Un air de musique moderne ladakhie contribue à favoriser l’assoupissement matinal de quelques unes.
Le chauffeur change de registre. Après une tentative avortée de lecture d’un DVD sur les enseignements d’un grand lama tibétain, une bande sonore de voix de nonnes inonde les oreilles. Tout le monde se tait. Une femme entonne simultanément ce chant religieux très mélodieux . Peu à peu, d’autres voix se joignent à elle et bientôt toutes les femmes chantent à l’unisson. C’est très beau, très émouvant.

La vallée de l’Indus est hautement riche en monastères importants fondés par de grands maîtres bouddhistes très vénérés. Ils sont situés quelquefois sur un promontoire rocheux ou au fond d’un vallon désertique. Ces beaux édifices très anciens font partie du patrimoine incontournable de la culture ladakhie. La société est fortement imprégnée de tradition religieuse et il est important pour chacun d’y exprimer sa dévotion.

Sur la route, avant la visite du premier monastère, le bus fait une halte pour que les femmes puissent acheter les provisions d’huile nécessaire à l’alimentation des grandes lampes à huile dont la flamme se perpétue ainsi, maintenue en vie par des actes de piété.

Le premier édifice religieux proposé à la visite se situe sur la rive gauche de l’Indus, au fond du vallon. Le bus poussif nous y laisse après une longue approche sur un route étroite en lacets. C’est le beau monastère de Matho repeint de neuf d’un blanc éclatant et de marron-rouille à l’occasion de la visite très attendue d’un grand Rimpoché (maître spirituel). Le point de vue sur la vallée de l’Indus est très large, superbe.

Hélas, ce monastère est désert et nous n’avons trouvé personne pour ouvrir les différentes chapelles consacrées aux divinités bouddhiques de ce haut lieu spirituel du bouddhisme tantrique. Nous apprendrons de la bouche d’un villageois que tous les moines du monastère se sont rendus à Leh. Déception, bien sûr, mais le projet de remettre la visite à l’année prochaine rend le sourire à tout le monde.
Après avoir fait la traditionnelle photo de groupe devant la porte rouge éclatant du Lakhang (équivalent de la chapelle), un petit encas salé ou sucré est partagé sur le parking, à même le sol, dans une ambiance joyeuse et fraternelle.

Nous reprenons le bus pour descendre les lacets et traversons l’Indus grâce au pont métallique qui enjambe le fleuve et conduit au quartier de Choglamsar où vit une communauté importante de réfugiés tibétains.
De nombreuses voix s’élèvent pour exploiter le temps disponible dégagé et visiter le nouveau temple érigé sur un piton rocheux et inauguré récemment par le Dalaï Lama dans ce quartier de Choglamsar. Les chapelles de ce petit ensemble moderne en forme de pagode sont disposées sur trois étages, chacune dédiée à une divinité. Les femmes les saluent avec ferveur après avoir effectué les trois grandes prosternations rituelles.

La destination suivante est Shey Palace, domicile séculaire d’anciens rois du Ladakh aujourd’hui restauré et offert aux visites touristiques. En haut de la butte sur laquelle il est construit, trône une statue monumentale de Bouddha d’une dizaine de mètres de hauteur. Là encore, le point de vue sur la vallée est magnifique, la lumière sublime. L’indus y déroule ses méandres qui s’épanchent quelquefois dans les marais avoisinants.
En face, sur les hauteurs de la chaine, étincellent les neiges éternelles du bellicisme Stock Kangri, culminant à 6150 mètres. Cette nouvelle destination est très prisée par les occidentaux amateurs d’alpinisme.

Les salles de prières du monastère sont richement décorées de peintures du 12e siècle, oeuvres d’artiste venus d’Afghanistan, du temps où celui ci était de confession bouddhiste.
Les femmes, après avoir fait leurs salutations traditionnelles, font le tour de la salle en faisant des offrandes de quelques roupies et de kataks (écharpes blanches) aux divinités afin de recueillir leur bénédiction.

Nous nous regroupons pour le repas du déjeuner à l’ombre d’un vieux parachute de l’armée indienne installé dans le petit jardin d’un restaurant déserté. Les femmes proposent le partage de boulettes de Kolak (farine d’orge amalgamée avec thé salé ou yaourt), Tara (yaourt liquide) ou graines d’orges grillées éclatées comme des pop cor et qui ont un délicieux goût de noisette. le tout est accompagné de thé traditionnel au beurre salé.

Le clou de la visite est pour nous le plus beau des monastères, Thiksay Gompa situé à 25 km de Leh, sur la rive droite de l’Indus. Par sa situation dominante au sommet d’une colline rocheuse aux abords du grand fleuve et avec son architecture particulière, il est appelé ’le petit Potala" en référence au Palais d’hiver du Dalaï Lama à Lhassa.

Ce complexe monastique construit au XVe siècle accueille une centaine de moines et une école pour les jeunes. La cour intérieure abrite de superbes fresques et est le lieu de danses sacrées (chams) très codifiées, exécutées lors de célébrations rituelles. La terrasse sur le toit offre une vue exceptionnelle sur toute la vallée.
Les actes de dévotions accomplis devant les principales divinités et protecteurs bouddhistes, les yeux remplis d’étoiles, nous sommes toutes et tous invités à prendre un thé au lait sucré et prenons place dans le réfectoire du monastère de Thiksay.

C’est le moment du retour et l’ambiance est guillerette dans le bus. On se fait des blagues, se bouscule en riant, parle fort, s’interpelle. Les plus âgées égrènent leur mala (chapelet) en psalmodiant le mantra du Bouddha de la Compassion Om mani padme oum. Le soleil est bas sur l’horizon et nous enveloppe de ses rayons dorés.

C’est le moment du retour. Il est temps de se quitter mais nous savons tous que l’année prochaine nous nous retrouverons pour une nouvelle aventure riche de partage et d’amitié.